Au-delà de Maria Chapdelaine
La carrière littéraire de Louis Hémon, bien que brève, fut riche et variée et ne peut se résumer qu’à son célèbre Maria Chapdelaine. Avant son passage d’une vingtaine de mois au Québec, l’auteur avait en effet déjà produit une œuvre significative lors son séjour à Londres de 1902 à 1911.
D’abord adepte des récits sportifs dont il fut l’un des précurseurs, il se tourna ensuite vers l’écriture de textes plus longs et de nouvelles. Plusieurs d’entre elles dépeignent d’ailleurs la vie dans les quartiers populaires londoniens, thématique qu’il privilégia également pour l’écriture de trois romans : Battling Malone, pugiliste, Collin-Maillard et Monsieur Ripois et la Némésis, tous publiés posthumement.
Ses écrits témoignent d’un intérêt marqué pour les milieux modestes et d’une capacité à capturer l’essence de différentes cultures. Bien que Maria Chapdelaine demeure son œuvre la plus connue, ces autres textes révèlent un auteur polyvalent, observateur perspicace de la société, capable de s’adapter à divers environnements et de les retranscrire avec sensibilité et humanité. Une œuvre entière à découvrir!
Pionnier des récits sportifs
En 1902, Louis Hémon quitte la France pour s’installer à Londres, une décision qui pourrait être interprétée comme une tentative d’échapper au destin de fonctionnaire que son père envisageait pour lui.
Dans la capitale britannique, il subvient à ses besoins en travaillant comme secrétaire bilingue auprès de plusieurs courtiers du secteur maritime et s’adonnera, en parallèle, à l’écriture.
Grand sportif de nature, son intérêt marqué pour les activités physiques et les lettres l’amènera à participer au Concours de vacances, un concours de nouvelles littéraires organisé par le journal sportif parisien Le Vélo. Gagnant du premier prix avec son texte La Rivière, celle-ci sera publiée le 1er janvier 1904.
Cette victoire lui ouvre non seulement les portes du journal, où il devient collaborateur régulier jusqu’au 7 août 1905, mais elle accentue sa persévérance à développer sa passion littéraire.
L’écrivain sportif
Pendant son séjour londonien (1902 à 1911), en tant que correspondant à Londres, il publie 24 récits sportifs (qui seront compilés et édités en 1982), un peu plus de 120 chroniques portant essentiellement sur le sport, et près de 100 télégrammes non signés, mais dont il revendique la paternité au début de quelques chroniques.
Ces écrits démontrent l’intérêt prononcé de Hémon pour le sport, particulièrement amateur. Sa vision du sport transparaît dans ses textes : il prône une pratique axée sur le plaisir et le bien-être plutôt que sur les honneurs ou la reconnaissance publique.
Hémon explore cette philosophie dans plusieurs de ses écrits, notamment Histoire d’un athlète médiocre, Jérôme, Marches d’armée, Mon gymnase, ainsi que dans des textes rédigés au Québec. Ces œuvres reflètent souvent ses expériences personnelles et sa propre relation avec le sport.
Cette période de journalisme sportif constitue une partie importante mais souvent méconnue de la carrière littéraire de Louis Hémon, principalement célèbre pour son roman Maria Chapdelaine.
Une vie londonienne
Louis Hémon, après avoir fait ses armes dans le journalisme sportif, s’oriente vers l’écriture de formats plus longs. Il se consacre d’abord aux nouvelles, qui seront plus tard rassemblées dans les recueils La Belle que voilà… (1923) et Nouvelles londoniennes (1991). Parmi ces nouvelles, deux connaissent une publication du vivant de l’auteur : La Peur paraît dans Le Vélo le 15 octobre 1904, tandis que Lizzie Blakeston est publiée sous forme de feuilleton dans Le Temps du 3 au 8 mars 1908.
Le East End londonien, quartier populaire, sert de toile de fond à la majorité de ces nouvelles. Ce choix reflète l’intérêt profond de Hémon pour les milieux modestes et défavorisés. À travers ces récits, l’auteur démontre sa capacité à capturer l’essence de la vie quotidienne des gens simples, témoignant ainsi de son empathie et de son attachement pour cette classe sociale souvent négligée. Cette thématique deviendra une constante dans l’œuvre de Hémon (dont Maria Chapdelaine), illustrant son engagement littéraire envers les laissés-pour-compte de la société et ceux qui en arrachent.
En plus de ses récits sportifs et de ses nouvelles londoniennes, Louis Hémon se consacre à l’écriture de trois romans. Ces derniers, vraisemblablement rédigés entre 1908 et 1911, s’inspirent largement de son expérience dans la capitale britannique. Ses divers emplois de représentant lui permettent d’explorer la ville en profondeur, nourrissant ainsi son inspiration littéraire.
Les trois œuvres en question – Battling Malonec, pugiliste, Collin-Maillard et Monsieur Ripois et la Némésis – reflètent cette immersion dans la vie londonienne et traduisent la fascination de l’écrivain pour les couches sociales défavorisées et la complexité de l’esprit humain.
Malgré ses efforts, ces œuvres ne seront publiées qu’après sa mort. Il tente de faire éditer Collin-Maillard par Le Temps, qui refuse malgré une critique positive. Bernard Grasset, à l’époque jeune éditeur, est intéressé par Monsieur Ripois et la Némésis, mais décline également, faute de moyens financiers pour lancer un auteur inconnu sans contribution de sa part…
Ces refus illustrent les difficultés rencontrées par Hémon pour faire reconnaître son talent de son vivant, malgré une période créative intense à Londres qui a nourri son écriture et sa compréhension de la société britannique.
Louis Hémon au Québec
Débarqué à Québec le 18 octobre 1911, Louis Hémon séjourne dans la province une vingtaine de mois, passant de Québec à Montréal, puis au Lac-Saint-Jean avant de repartir vers l’Ouest. Bien qu’il s’agisse de sa dernière aventure, ce bref passage marqua profondément son expérience d’écrivain.
Durant son séjour, Hémon observe attentivement la société canadienne française, s’intéressant particulièrement à la vie rurale et aux traditions locales.
En plus du récit de sa traversée entre Liverpool et Québec où il décrit ses premières impressions et note les similitudes et différences avec la France, il publie dans La Presse des articles encourageant la pratique du sport chez les Canadiens français. Il poursuit également sa collaboration avec L’Auto, journal sportif français, y décrivant divers aspects du Québec comme la vie quotidienne et les paysages.
Ses divers articles dépeignent, avec une grande précision, la vie québécoise au début du 20e siècle. Des rues de la capitale aux clubs de raquetteurs de Montréal, en passant par les bûcherons et arpenteurs du Lac-Saint-Jean, ils offrent un contrepoint intéressant à Maria Chapdelaine et révèlent le regard curieux d’un jeune étranger en quête d’aventures et de découvertes.
La liste des oeuvres de Louis Hémon
Louis Hémon est l’auteur de quatre romans ainsi que d’un bon nombre de nouvelles et de récits qui ont été rassemblés et publiés après sa mort.
- Maria Chapdelaine, récit du Canada français, roman d’abord publié en feuilleton dans Le Temps (Paris), du 27 janvier au 19 février 1914, puis en des centaines d’éditions à travers le monde, de 1916 jusqu’à aujourd’hui.
- La Belle que voilà…, recueil de nouvelles publié par Bernard Grasset en 1923.
- Colin-Maillard, roman publié par Bernard Grasset en 1924.
- Battling Malone, pugiliste, roman publié par Bernard Grasset en 1925.
- Itinéraire, récit de voyage publié par Bernard Grasset en 1927.
- Monsieur Ripois et la Némésis, roman publié par Bernard Grasset en 1950.
- Louis Hémon : lettres à sa famille, présentation de Nicole Deschamps, publié par Les Pressses de l’Université de Montréal en 1968.
- Récits sportifs, édition et présentation d’Aurélien Boivin et de Jean-Marc Bourgeois, publié par Les Éditions du Royaume en 1982.
- Écrits sur le Québec, avant-propos et postface de Chantal Bouchard, publié par Boréal en 1993.
Pour l’intégralité des oeuvres de Louis Hémon, consultez Oeuvres complètes, édition en trois volumes préparée et présentée par Aurélien Boivin, publiée chez Guérin Littérature en 1990-1995.