Louis Hémon, l’écrivain vagabond
Écrivain de l’ombre de son vivant et très grand sportif, Louis Hémon n’aura connu le succès qu’après sa mort. À partir de 1921, son roman Maria Chapdelaine, récit du Canada français obtint en effet un succès planétaire sans précédent. Initialement destiné à un public français, Maria Chapdelaine est pourtant considéré comme l’un des tous premiers romans du terroir du Québec et, par conséquent, un pilier important dans l’histoire de la littérature québécoise.
Pourtant, les nombreux mythes entourant l’auteur nous l’ont fait connaître tout en cachant une partie de sa véritable nature. Rédacteur français d’articles de sport ou romancier de la terre du Québec? On s’entend pour lui attribuer une personnalité rebelle, mystérieuse et aventurière. Un homme qui a écrit des histoires aux mille et une controverses, un homme de passage, voire un passeur culturel.
Enfance et milieu familial
Louis Hémon, né à Brest en Bretagne le 12 octobre 1880, est le fils cadet de Marie-Louise Le Breton et Félix Hémon, un professeur de lettres et inspecteur général de l’Instruction publique française respecté. Dès leur plus jeune âge, Louis (au centre de la photo), son frère Félix et sa soeur Marie sont exposés à la littérature et aux idéaux républicains que chérit son père et grandissent dans un milieu intellectuel stimulant.
Le déménagement de la famille à Paris deux ans plus tard marque un tournant dans la vie du jeune Louis. Dans la capitale, il évolue dans un environnement culturel riche, propice à l’éveil de sa sensibilité littéraire. Il fréquente de bonnes écoles, bénéficiant de l’influence positive de son père qui voit déjà en lui un futur fonctionnaire.
Cependant, malgré ce cadre privilégié, Louis développe un esprit indépendant et aventureux. Cette dualité entre son éducation parisienne et ses racines bretonnes façonne sa personnalité. Son enfance, bien que peu documentée, pose les jalons de sa future carrière d’écrivain voyageur, mêlant rigueur intellectuelle et soif d’horizons nouveaux.
Une éducation riche
Le parcours éducatif de Louis Hémon débute au lycée Montaigne de 1887 à 1893 à Paris, puis se poursuit au prestigieux lycée Louis-le-Grand jusqu’en 1897. Ces années forgent sa base académique solide.
De 1897 à 1901, Hémon élargit ses horizons à la Sorbonne, où il entreprend une licence en droit. Parallèlement, il étudie la langue annamite (vietnamien) à l’École des langues orientales, témoignant de son intérêt pour les cultures lointaines.
Son parcours est ponctué de séjours à l’Université d’Oxford : un premier en 1899, suivi de deux autres en août 1901 et à l’automne 1902, bien qu’il n’y soit pas officiellement inscrit. Ces expériences enrichissent sa perspective internationale.
Le 14 novembre 1901 marque le début de son service militaire à Chartres et sera libéré le 19 septembre 1902, deux ans avant le temps, compte tenu de son statut d’étudiant. Il retournera ensuite à la vie civile et s’installera à Paris. Ce retour ne se fera toutefois pas sans heurt et il quittera la France sans jamais avoir l’occasion d’y remettre les pieds.
La naissance d’un écrivain… et de sa fille
Peut-être pour échapper à la carrière de fonctionnaire à laquelle le destinait son père, Louis Hémon quitte Paris pour Londres le 13 novembre 1902, marquant le début d’une période cruciale de sa vie.
Dans la capitale britannique, Hémon s’immerge dans la culture anglophone, perfectionnant sa maîtrise de la langue. Il trouve un emploi de secrétaire bilingue pour des courtiers maritimes, gagnant ainsi sa vie tout en poursuivant ses ambitions littéraires.
C’est à Londres qu’il commence véritablement à écrire. Il rédige des nouvelles et des articles sportifs pour des journaux français, développant son style unique. Cette ville cosmopolite nourrit son imagination et élargit ses horizons culturels qui le pousseront à écrire trois romans dont la publication sera à chaque fois refusée.
Le séjour londonien d’Hémon est également marqué par des expériences personnelles intenses, notamment une relation amoureuse avec la comédienne Lydia O’Kelley qui se solde par la naissance de leur fille Lydia, née le 12 avril 1909.
Sa dernière aventure
Le 12 octobre 1911, jour de son anniversaire, Louis Hémon quitte Londres pour le Canada en laissant sa fille au bon soin de la famille O’Kelley, Lydia étant depuis peu résidente d’une institution psychiatrique dont elle ne sortira jamais. Une décision qui marquera profondément la vie de l’auteur et son œuvre.
Arrivé à Montréal, il y passe quelques mois avant de partir pour le Lac Saint-Jean / Pekuakami découvrir la vie rurale québécoise. Il s’installe à Péribonka, travaillant comme ouvrier agricole chez les Bédard, une famille de cultivateurs. Cette immersion dans la culture canadienne-française l’inspire profondément.
Durant ce séjour, Hémon prend des notes pour son quatrième roman, Maria Chapdelaine, capturant l’essence de la vie des colons québécois. Le roman, publié à titre posthume, deviendra un classique de la littérature et le premier best-seller francophone.
Malheureusement, le séjour canadien d’Hémon est tragiquement écourté. Le 8 juillet 1913, alors qu’il voyage vers l’Ouest du Canada, il est mortellement heurté par un train près de Chapleau, en Ontario.
Bien que bref, ce séjour au Canada a été déterminant pour l’héritage littéraire de Louis Hémon.
Un succès posthume
Le destin littéraire de Louis Hémon connaît un tournant ironique avec sa mort prématurée en 1913. Son roman Maria Chapdelaine, publié en feuilleton dans le journal parisien Le Temps en 1914 puis discrètement en livre en 1916 au Québec, connaîtra un succès fulgurant et posthume seulement à partir de 1921.
Commercialisée en grande pompe cette année-là par l’éditeur français Bernard Grasset, l’œuvre devient rapidement un classique de la littérature francophone, saluée pour sa représentation authentique de la vie rurale québécoise. Elle est aujourd’hui traduite dans plus de trente langues et adaptée plusieurs fois au cinéma, à la radio, au théâtre et à l’opéra.
Ce succès inattendu propulse Hémon au rang des auteurs majeurs du XXe siècle. Son style simple mais évocateur, son ton parfois ironique et sa capacité à capturer l’essence d’une culture sont largement reconnus et étudiés.
Paradoxalement, c’est après sa mort que Hémon acquiert une renommée internationale. Son œuvre influence profondément la littérature québécoise et française, inspirant alors de nombreux auteurs. Aujourd’hui, Louis Hémon est célébré comme un passeur culturel, dont l’héritage littéraire continue de rayonner bien au-delà de sa courte vie.
Les grandes lignes de la vie de Louis Hémon
Pour en savoir plus
Le succès international de Maria Chapdelaine a suscité une grande curiosité envers son auteur. Sa vie et ses œuvres ont ainsi fait l’objet de multiples articles de périodiques, d’ouvrages documentaires variés, d’actes de colloque et de travaux universitaires. Si vous désirez en connaître davantage sur la vie de Louis Hémon, nous vous conseillons vivement de débuter votre exploration par la liste de références suivante :
- AYOTTE, Alfred et Victor TREMBLAY, L’aventure Louis Hémon, Montréal, Fides, « Vies canadiennes », 1974, 389 p.
- BLETON, Paul et Mario POIRIER, Le vagabond stoïque. Louis Hémon, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2004, 261 p.
- BOIVIN, Aurélien, « Hémon, Louis », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. XIV : de 1911 à 1920, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1998, p. 516-518.
- BOULAIRE, Alain, Louis Hémon ou la vie volée de l’auteur de Maria Chapdelaine, Morlaix, Éditions Le Télégramme, 2013, 237 p.
- CHOVRELAT, Geneviève, Louis Hémon, la vie à écrire, Louvain, Peeters, 2003, 326 p.
- LEIGNEL, Valentine, Louis Hémon. Un voyage dans ses archives, 2009.
- LÉVESQUE, Gilbert, Louis Hémon, aventurier ou philosophe?, Montréal, Fides, 1980, 64 p.