Un roman du terroir au succès international
Maria Chapdelaine, récit du Canada français a été publié pour la première fois en 1914 sous forme de feuilleton dans le quotidien parisien Le Temps. Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1920 qu’il a connu un succès international, et ce, grâce aux efforts publicitaires de l’éditeur français Bernard Grasset.
À la fois louangé, controversé et critiqué, le roman Maria Chapdelaine n’est certainement pas passé inaperçu. Premier best-seller francophone, il a été publié en plus de 150 éditions différentes. Il a été traduit en plus de 30 langues et il a inspiré quatre adaptations cinématographiques, des pièces de théâtre, un opéra, le nom d’un fromage et bien plus encore.
Aujourd’hui, on parle du roman de Louis Hémon comme d’un important phénomène littéraire qui s’est étendu d’un continent à l’autre et qui a laissé sa marque dans l’histoire de la littérature québécoise.

Louis Hémon à Péribonka
En 1912, le jeune écrivain Louis Hémon s’installe à Péribonka où il travaille comme ouvrier agricole chez Samuel Bédard.
Durant son séjour de six mois, il observe attentivement la vie des colons et prend de nombreuses notes. Ces observations formeront la base de son roman Maria Chapdelaine qu’il rédigera à St-Gédéon le mois de janvier suivant et mettra finalement au propre, à Montréal, à partir du mois d’avril.
Hémon écrit le manuscrit en s’inspirant des gens et des paysages qui l’entourent. Il dépeint la vie rude des pionniers, leurs traditions, leur attachement à la terre ainsi que les nombreuses déchirures de la société cannadienne-française de l’époque.
Bien qu’Hémon ne verra jamais son œuvre publiée, Maria Chapdelaine deviendra le premier best-seller francophone et posera une brique importante dans l’édification de la littérature québécoise.

Les premières éditions
Le roman Maria Chapdelaine, récit du Canada français a d’abord été publié sous forme de feuilleton dans le journal français Le Temps en 1914. À la veille de la Première Guerre mondiale, la dernière oeuvre de Louis Hémon aurait facilement pu passer inaperçue sans l’œil avisé de Louvigny de Montigny, homme de lettre réputé et « père » du droit d’auteur canadien.
« C’est, avant tout, pour fournir aux jeunes écrivains de mon pays un modèle de littérature canadienne que j’ai souhaité la publication de cette œuvre chez nous » écrivait-il, puisque « le roman de Louis Hémon, sauf erreur, me paraît le plus complet dans son cadre, le plus vrai, le plus pur, le plus simple et […] le plus littéraire que le Canada français ait encore inspiré. »
Par l’initiative de Montigny, le récit paru pour la première fois sous forme de livre aux éditions J.-A. LeFebvre de Montréal en 1916. Cette publication, brillamment illustrée par des planches au fusain du célèbre Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, marque les débuts d’une grande aventure littéraire.

Bernard Grasset s’empare de Maria
Alors que LeFebvre s’autoproclamait détenteur du copyright de Maria Chapdelaine, c’est pourtant l’éditeur français Bernard Grasset qui réussi, en un tour de force, à acquérir les droits exclusifs de l’œuvre, éliminant par conséquent toute compétition internationale concernant sa publication.
À l’aide de Maria Chapdelaine, destiné à inaugurer sa toute nouvelle collection des Cahiers verts lancée en 1921, Bernard Grasset a révolutionné le monde de l’édition après la Première Guerre mondiale. Il a fait passer les tirages de 2000 à plus de 10 000 exemplaires, il a inventé la publicité littéraire et les services de presse, et il a modernisé la typographie des livres.
Ces innovations ont non seulement transformé la promotion et les pratiques éditoriales de l’industrie du livre en France, mais ils ont fait de Maria Chapdelaine un phénomène littéraire international.

La recette d’un succès
Décidé à ce que le roman de Louis Hémon devienne L’ÉVÈNEMENT LITTÉRAIRE dont tout le monde parle, l’éditeur français n’y est pas allé de main morte pour faire connaître, au plus grand nombre, le récit du jeune auteur.
Tout en misant sur l’exotisme des paysages et sur les valeurs traditionnelles du Canada français transmises à travers le récit, Grasset s’est attelé à une campagne publicitaire d’une ampleur et d’une nature qui n’avaient encore jamais été vues sur le sol français.
Pour l’éditeur, toutes les ressources publicitaires sont bonnes : création d’un visuel unique pour la collection des Cahiers Verts, autorisations exclusives de publication de l’œuvre pour certains des plus grands journaux de France, organisation de concours pour les jeunes, affichage publique de la progression des ventes, rabais aux libraires, envois de copies gratuites aux paroisses, création de ses propres jurés littéraires, etc.

Après avoir appâté les personnalités et les journalistes les plus influents du milieu littéraire avec une édition limitée et numérotée des Cahiers Verts, il semble avoir profité de leurs retours favorables pour amener, à la littérature, des publics que bien peu d’éditeurs avant lui avaient pensé pouvoir intéresser.
Grasset a également réalisé un véritable coup d’audace en obtenant non seulement le soutien des milieux catholiques français, mais aussi en soutirant un éloge public du roman de Louis Hémon de la part de l’Académie française. Du jamais vu pour une œuvre posthume !
En effet, avec cette mise en scène publique bien orchestrée, Grasset s’est assuré de la pérennité des ventes de l’œuvre tout en s’imposant comme l’éditeur le plus dynamique et le plus prestigieux de son époque.

Maria Chapdelaine, au-delà du roman
Enfin autorisée par Grasset, la première adaptation cinématographique de Maria Chapdelaine a été réalisée en 1934 par Julien Duvivier. Ce film, tourné en grande partie à Péribonka, a contribué à faire connaître l’œuvre de Louis Hémon à un public plus large. L’actrice Madeleine Renaud y incarnait le rôle-titre et Jean Gabin celui de François Paradis, apportant une dimension visuelle aux personnages emblématiques du roman.
Quatre ans plus tard, en 1938, le Musée Maria-Chapdelaine (aujourd’hui le Musée Louis-Hémon) a été inauguré à Péribonka, au Québec. Situé dans la région du Lac-Saint-Jean où se déroule l’histoire du roman, ce musée a été créé pour préserver et mettre en valeur le patrimoine culturel lié à l’œuvre de Louis Hémon. Il offre alors aux visiteurs une immersion dans l’univers du roman et dans la vie rurale québécoise du début du 20e siècle.
L’adaptation cinématographique et l’ouverture du musée ont joué un rôle important dans la pérennisation de l’héritage de Maria Chapdelaine, consolidant sa place dans la culture québécoise et francophone.

Depuis le film de Julien Duvivier en 1934, Maria Chapdelaine a connu trois autres adaptations cinématographique. En 1950, Marc Allégret réalisa une nouvelle version, suivie en 1983 par celle de Gilles Carle, avec Carole Laure dans le rôle-titre. Plus récemment, en 2021, Sébastien Pilote a réalisé une nouvelle adaptation, ramenant l’authenticité de l’œuvre à l’attention du public contemporain.
Sans compter les innombrables produits dérivés (beurre, fromage, bandes-dessinées, suites littéraires, etc.), le roman a également inspiré des adaptations radiophoniques, dont le radioroman réalisé par Yves Thériault et Jacques Gauthier diffusé à Radio-Canada à partir de 1953, ainsi que plusieurs pièces de théâtres, et ce, dès 1919.
Ces multiples adaptations témoignent de la pérennité et de l’importance culturelle de l’œuvre de Louis Hémon, qui continue de captiver les créateurs et le public à travers les générations.
